Interview du CCFD autour de l’étude Genre : Agir contre le patriarcat, cause structurelle de la faim et des inégalités
En 2023, le CCFD- Terre Solidaire a démarré une étude « genre » avec l’appui du F3E, intitulée « Agir contre le patriarcat, cause structurelle de la faim et des inégalités ». Dans cet entretien, Inès Minin, Déléguée Générale du CCFD-Terre Solidaire et Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente, partagent leur expérience.

Pour quelles raisons le CCFD a-t-il décidé de s’engager dans cette démarche ?
Le CCFD-Terre Solidaire a tout d’abord commencé à se pencher sur les questions d’égalité femmes-hommes suite à des interpellations d’une partie de ses partenaires, en particulier des organisations féministes, paysannes, ou de femmes, autour des questions d’inégalités d’accès aux ressources productives notamment.
Ces considérations ont abouti en 2014 à l’inscription de l’égalité femmes- hommes comme un axe transversal de notre rapport d’orientation et qui nous permettait d’avoir une porte d’entrée très opérationnelle, sans pour autant questionner le CCFD-Terre Solidaire en interne ou la stratégie.
C’est le travail avec les partenaires qui fait réaliser au CCFD-Terre Solidaire que ce qui se cache derrière la faim et les inégalités, c’est un rapport de domination. Et que c’est un rapport de domination qui en croise d’autres. Cette prise de conscience mène la Direction des Partenariats Internationaux à réaliser un diagnostic genre, et le choix de mots génèrent débats et discussions en interne.
Mais ce diagnostic a permis de faire prendre conscience au CA de l’association des enjeux importants derrière et c’est alors que la gouvernance politique décide d’impliquer l’ensemble du CCFD-Terre Solidaire dans un processus d’intelligence collective qui pousse l’association à prendre conscience et nommer le système qui produit la faim et les inégalités : le patriarcat, en imbrication avec d’autres systèmes de domination.
C’est ainsi qu’à l’AG 2020, la motion entérinant le patriarcat comme « cause structurelle de la faim et des inégalités » est adoptée. Et c’est pour opérationnaliser cette motion que la gouvernance du CCFD-Terre Solidaire a commandité cette étude, pour mieux définir ce que recouvre le patriarcat pour le CCFD-Terre Solidaire, et pour identifier les actions les plus pertinentes pour accompagner ses partenaires.
« Nous pensons qu’il faut partir des réalités, des réels constats et besoins, sans se contenter des hypothèses et c’est ce que l’étude nous a permis. »
Que vous ont apporté l’accompagnement du F3E et la démarche d’étude ?
Le F3E nous a aidé à structurer la manière dont nous souhaitions mener l’étude ainsi que ses attendus, de prendre le pouls de notre situation actuelle et de voir où nous souhaitions atterrir. La prise en compte de l’intersectionnalité est un enjeu phare de l’étude. Il était donc important de trouver une méthodologie favorisant la sensibilisation à cette notion et l’analyse de l’impact des différents systèmes dans le but de rendre lisible leur imbrication, avec une perspective intrinsèquement intersectionnelle.
Cela nous a conduit, en lien avec le F3E, à choisir des consultant-e-s approprié-e-s sur cette dimension. Elles et ils ont mis en place des communautés d’apprentissages fondées sur une méthodologie de recherche-action participative et inspirée de La Maison du patriarcat, créée par l’association féministe JASS. Ces espaces favorisent une mise en commun des approches, des expériences, des regards des partenaires, des salarié-e-s, des bénévoles et consultant-e-s dans une perspective de co-construction en vue de transformer les pratiques.
On constate déjà des premiers effets positifs de la démarche. Les communautés d’apprentissage ont été répliquées par certains de nos partenaires. Quant à certain-e-s de nos bénévoles, ils et elles ont monté des actions notamment autour de l’écoféminisme. Nous questionnons actuellement la manière de poursuivre notre action. Nous souhaitons aboutir à une note de positionnement qui précisera l’angle sous lequel nous envisagerons d’aborder la question du patriarcat. Elle doit aussi préciser les actions pertinentes pour accompagner nos partenaires ainsi que les indicateurs de suivi et d’impact autour de ces enjeux. Un premier partage des résultats aura lieu lors de notre AG 2024. Les retours recueillis serviront à alimenter notre note de positionnement et à identifier les leviers d’action en vue de continuer à agir sur ce sujet.
Quels conseils donneriez-vous aux organisations qui souhaitent se lancer dans ce type de démarche ?
Nous pensons qu’il faut partir des réalités, des réels constats et besoins, sans se contenter des hypothèses et c’est ce que l’étude nous a permis.
Cela a contribué à construire la démarche de manière progressive. Nous recommandons également de se faire accompagner : c’est important sur des notions telles que le patriarcat ou l’intersectionnalité qui peuvent susciter de l’appréhension.
Lorsque l’on sensibilise les personnes n’ayant pas l’habitude de les aborder, il faut pouvoir le travailler de la manière la plus pédagogique et bienveillante possible, sans pointer du doigt. On se situe bien dans un enjeu de recherche, de meilleure compréhension, de décryptage de ce qui se joue auprès des acteurs et actrices les plus impactées par ces questions-là, et tout cela dans la perspective de concevoir un véritable processus transformatif !